Actualités 1317 Notaires

Achat d’un terrain enclavé : pourquoi la revente n’efface pas le droit de passage

L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 30 septembre 2025 s’inscrit dans une jurisprudence constante, pourtant régulièrement mal comprise en matière de servitudes légales de passage.

Dans cet arrêt, la question posée à la Cour était classique à la pratique notariale, puisqu’il s’agissait de déterminer le fonds servant dans le cadre d’un enclavement relatif à des ventes successives portant sur ce qui avait constitué, un temps, un fonds unique.

Dans l’affaire en question, une société avait acquis en 2017 trois parcelles enclavées et demandait la fixation d’une servitude de passage sur un fonds voisin, soutenant que l’enclavement était ancien et ne résultait pas d’une division intervenue en 2013. Selon l’acheteur, la règle spéciale prévue par l’article 684 du Code civil qui dispose que lorsqu’un terrain devient enclavé à la suite d’une division (vente, partage, échange…), le propriétaire ne peut réclamer un passage que sur les parcelles issues de cette division, sauf si cela est insuffisant, auquel cas on applique la règle générale du droit de passage (article 682), n’avait pas vocation à s’appliquer. En conséquence, il estimait qu’il pouvait par conséquent solliciter un passage sur la parcelle d’un propriétaire d’une parcelle voisine, tiers aux actes ayant conduit à la division. 

En appel, la juridiction avait rejeté l’analyse de l’acquéreur, considérant que l’état d’enclave reproché résultait directement de la vente de 2013 par les propriétaires de la parcelle donnant accès à la voie publique.

Sa décision est approuvée par la Cour de cassation, et c’est ici que réside l’intérêt majeur de l’arrêt puisqu’elle confirme une approche stricte et continue de l’article 684 du Code civil, en soulignant que la reconstitution temporaire d’un fonds non enclavé, par l’effet de diverses acquisitions successives, prime sur l’histoire antérieure des parcelles.

La Haute juridiction en appui à sa décision rappelle que lorsque plusieurs parcelles, initialement issues de propriétaires distincts, sont réunies entre les mains d’un seul propriétaire pour former un fonds unique disposant d’un accès à la voie publique, la division ultérieure de ce fonds doit s’apprécier à cette date, et ce indépendamment de l’état d’enclave plus ancien de certaines parcelles qui compose le fonds unique.

Résumé autrement : la notion de fonds unique doit exclusivement être appréciée lors de la division qui constitue la cause de l’enclavement.

En l’espèce, peu importe que la parcelle ait déjà été isolée vingt ans auparavant, si elle a été intégrée à un ensemble cohérent disposant d’un accès à la voie publique, la division de cet ensemble devient l’unique fait générateur pertinent.

La Haute juridiction retient par conséquent que l’état d’enclave des parcelles acquises par la société résulte directement de la vente de 2013 par laquelle les vendeurs de l’époque avaient cédé la parcelle d’accès à des tiers, conservant les parcelles désormais enclavées. Dès lors, seule peut être sollicitée une servitude sur les parcelles ayant fait l’objet de cet acte, à l’exclusion des fonds appartenant à des tiers.

Cette solution est consolidée par un second enseignement d’importance de la Cour de cassation qui précise en outre que la revente ultérieure des parcelles enclavées, intervenue en 2017, ne permet pas au nouvel acquéreur d’échapper à la contrainte de l’article 684. En effet, même si le propriétaire initial du fonds enclavé n’a jamais demandé la reconnaissance d’un passage sur les terrains issus de la division, ce silence ne rend pas applicable le droit commun des articles 682 et 683 du Code civil.

Ici la troisième chambre civile ferme la porte à une stratégie parfois constatée en pratique qui tend à considérer que l’absence de demande de passage par le vendeur emporte pour l’acquéreur la possibilité d’invoquer le droit commun, plus favorable, pour obtenir un passage sur un fonds tiers.

Cette décision rappelle avec force que la division est un fait juridique objectif dont les conséquences s’imposent à tous les propriétaires successifs, sans que puisse jouer la volonté, l’inaction ou l’intérêt particulier des parties.

Référence de l’arrêt : Cass. civ 3ème du 20 novembre 2025, n°24-17.240